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Je me retournerai souvent
de Michel Lambert - 208 pages
Lisez les nouvelles de ce recueil, sans doute le plus remarquable de tous ceux qu’a déjà signés Michel Lambert. Son thème majeur, la solitude, y est traité avec une maîtrise jamais égalée auparavant. De quoi est-il question ? De cœurs brisés, de deuils, de trahisons, d’échecs cuisants ou de secrets de famille... Choses déjà racontées mille fois, dira-t-on. La force mystérieuse et invincible qui monte de ces nouvelles vient d’ailleurs. Elle s’explique par l’art infiniment subtil du dévoilement et du retardement auquel l’auteur a recours pour traduire l’ineffable de la solitude, un drame dont on ne se débarrasse pas en se confiant simplement à une âme compatissante. La solitude épouse, ici, la consistance fuyante des nuages : peuplée d’ombres dont la nature et la forme fantastiques explosent tout à coup pour introduire un autre sentiment connexe au mal être : la terreur. Qu’on ne s’y trompe pas. Le registre de Michel Lambert demeure celui du réalisme, servi par une minutie d’observation et un rare instinct de la montée en crise et des variations psychologiques les plus infimes, quasi météorologiques. Qui mieux que Michel Lambert parvient à ancrer dans le quotidien le plus banal, l’irruption de la fatalité la plus singulière, exprimé par un style soudain magique ? Écoutez les conversations qu’il nous rapporte. Des conversations de tous les jours, qui se poursuivent entre des regards et des gestes, eux aussi, familiers à notre mémoire. Sauf qu’il s’y cache cette troisième présence, brouillant la ligne, celle du double et du doute : quand le personnage se regarde trente ans en arrière et renie tout bas l’être qu’il a été. Aucun secret ne nous est révélé en ligne droite. La solitude s’appuie, ici, sur un réseau de relations complexes, mise en scène d’une manière qui, toujours, obéit au sens de la désorientation et pour cause... La qualité quasi photogénique rendue à l’énigme des personnages frappe peu à peu le regard. Quand leurs silhouettes d’êtres égarés, seuls sur Terre, se détachent tels des fantômes en avance sur leur propre mort. Entraînés par le flux continuel qui animent les grandes villes, ils lèvent aussi les yeux vers le ciel et c’est alors qu’apparait toute la dimension de l’œuvre lambertienne : quand ce moment d’éternité se fixe, comme en surimpression, divin et consolateur, au-dessus de la solitude si misérable à l’échelle humaine.