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Le pavillon des cancéreux
d'Alexandre Soljenitsyne - 763 pages
Le pavillon des cancéreux portait... le numéro treize. Paul Nikolaïevitch Roussanov n'avait jamais été superstitieux et il n'était pas question qu'il le fût, mais il ressentit une pointe de découragement lorsqu'il lut sur sa feuille d'entrée : «Pavillon treize». On n'avait même pas été assez malin pour donner ce numéro à un quelconque pavillon des prothèses ou des maladies du tube digestif...
Quoi qu'il en fût, dans toute la République, il n'avait maintenant d'autre recours que l'hôpital...
-Je n'ai pas le cancer, n'est-ce pas, docteur ? Ce n'est pas le cancer ? demandait Paul Nikolaïevitch avec espoir et, délicatement, ses doigts effleuraient cette vilaine tumeur qui lui poussait là, sur le côté droit du cou, et qui grossissait presque de jour en jour ; pourtant, la peau qui la recouvrait était toujours aussi blanche et inoffensive...
- Mais non, mais non, bien entendu, lui répondit pour la dixième fois le docteur Dontsova pour le tranquilliser, tout en couvrant de sa large écriture les pages de son dossier de maladie. Quand elle écrivait elle mettait ses lunettes, des lunettes carrées aux coins arrondis, et dès qu'elle avait terminé, elle les enlevait. Elle n'était plus très jeune et sa figure était pâle, très lasse.
Cela s'était passé il y a quelques jours, à la consultation des cancéreux. On n'en dormait déjà pas de la nuit, quand on était envoyé à cette consultation, et voilà que le docteur Dontsova avait prescrit à Paul Nikolaïevitch une hospitalisation immédiate !
Accablé par la maladie imprévue et inattendue qui avait en deux semaines fondu comme un ouragan sur l'homme insouciant et heureux qu'il était, Paul Nikolaïevitch se sentait maintenant doublement accablé à l'idée d'avoir à se soumettre au régime commun de l'hôpital ; cela ne lui était pas arrivé depuis si longtemps... Alors on avait téléphoné à Eugène Semionovitch, à Chendiapine, à Oulmasbaïev ; ceux-ci, à leur tour, avaient téléphoné, exploré toutes les possibilités, demandé s'il n'y avait pas dans cet hôpital de chambre réservée, ou si l'on ne pouvait pas, au moins provisoirement, en organiser une dans une petite pièce. Mais en raison du manque de place on n'aboutit à rien. Le seul point sur lequel on réussit à s'entendre par l'intermédiaire du médecin-chef de la cité hospitalière fut que le malade pourrait échapper aux formalités d'accueil, au bain réglementaire et au pyjama uniforme de l'hôpital.
Et c'est ainsi que Ioura avait amené, dans leur petite Moskvitch bleu ciel, son père et sa mère jusqu'au bas des marches qui conduisaient au pavillon treize.
Bien qu'il gelât un peu, deux femmes en blouses de futaine lavées et relavées étaient debout sur le perron de pierre ; recroquevillées de froid, elles attendaient, immobiles.
Présentation de l'éditeur
Le Pavillon des cancéreux, c'est le quotidien du bâtiment numéro treize de l'hôpital de Tachkent, celui où quelques hommes alités souffrent d'un mal que l'on dit incurable. En s'y installant, Roussanov, haut fonctionnaire du Parti, ne voit pas d'un bon œil d'être contraint de partager sa chambre avec des patients de moindre valeur comme Kostoglotov, un ancien prisonnier du Goulag. Mais, très vite, il va se rendre compte que tous les titres et passe-droit dont il usait dans la vie réelle ne lui serviront à rien. Il est mis dans la salle commune et doit se soumettre aux traitements. Comme les autres, il va vivre le combat de l'homme face à la vision de sa mort et son dénuement devant la vanité de sa vie passée. Dans cette salle d'hôpital, on vit de l'intérieur l'angoisse de chacun des sept personnages qui y sont enfermés, qu'on pourrait voir comme un échantillonnage de la société russe au moment dit du " dégel ", juste après la mort de Staline. Le lieu vit presque en autarcie, pourtant il est plein des bruits du monde et hanté par la guerre et le communisme. Au-delà des malades, on découvre peu à peu le personnel médical : Zoé, une jeune infirmière, Véra, le médecin, Lioudmila, la chirurgienne et la difficulté de leurs décisions, leur impuissance et leurs interrogations face à des traitements encore incertains. Imaginé en 1955, rédigé dix ans plus tard, Le Pavillon des cancéreux est l'œuvre la plus accessible de Soljenitsyne, et sans conteste celle où il est le plus fidèle à la grande tradition du réalisme russe du XIX e siècle.