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La Nouvelle Revue d'Histoire n°23

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dirigé par Dominique Venner

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Le cinéma et la mémoire

Le cinéma a parfois des effets inattendus que révèle par exemple un film comme Gladiator (2000). Son succès fut important. Il le dut à ses prouesses techniques: les gladiateurs s’étripant avec conviction et affrontant des tigres dans l’immense Colisée reconstitué en images numériques. La réalisation de Ridley Scott enterrait les «péplums» qui l’avaient précédée. Mais elle portait aussi quelque chose qui allait nettement plus loin qu’une mise en scène réussie. La plupart des films sur la Rome antique avaient représenté celle-ci de façon caricaturale: un empire cruel et dépravé. En face, on dressait la négation des valeurs romaines (Ben Hur, Quo Vadis, Spartacus). Rien de semblable dans Gladiator, au contraire. Le héros principal, Maximus (Russell Crowe), général romain d’origine ibérique, disciple de l’empereur Marc Aurèle, est campé dans la stature du vengeur, faceÍ au tortueux Commode, profanateur de la romanité. Peu importe que Ridley Scott prenne des libertés avec les faits historiques puisque c’est pour la bonne cause: accrocher le spectateur par des artifices romanesques tout en l’immergeant avec force dans l’esprit de l’Urbs.

À travers l’intègre général Maximus, ses paroles sobres, sa piété pour ses dieux ancestraux, sa dévotion au devoir, Gladiator rend justice à la vraie nature de Rome, part essentielle de la tradition européenne avec la Grèce homérique et une chrétienté médiévale toute chargée de réminiscences celtes et germaniques.

Issus d’une industrie aux préoccupations mercantiles, certains films viennent ainsi, périodiquement, sans crier gare, réveiller tout un pan de notre mémoire perdue. Dans des genres et sur des thèmes fort différents, ce fut le cas d’Électre, d’Excalibur, de Braveheart, de Tous les matins du monde, pour citer quatre exemples. Chacun de ces films dévoile une part de l’européanité en la rendant perceptible au grand public. Dans le même registre, on pourrait dire que les gants blancs du capitaine de Boeldieu dans La Grande Illusion en disent plus sur notre ancienne civilisation que des kilomètres d’études savantes.

En révélant aux Européens ce qu’ils sont et ce qu’ils ont de singulier, certains films ont ainsi un pouvoir d’éveil salutaire. L’époque inédite dans laquelle nous sommes entrés depuis la deuxième partie du XXe siècle exige en effet d’autres appuis que le rêve d’une politique de puissance qui a déjà conduit aux catastrophes des deux guerres mondiales. Si les Européens se sont laissé culpabiliser et submerger, c’est bien entendu en raison de ce passé proche, mais aussi et surtout parce qu’ils sont dépourvus des immunités que confère à d’autres peuples la conscience forte d’une identité multimillénaire. Tragique paradoxe. Au fond de leurs bibliothèques, les Européens possèdent tous les aliments de leur propre identité, mais, faute de transmission et de mémoire intériorisée, ils ne les connaissent pas et n’en sont pas pénétrés.

Dans une période de chaos et de danger, l’identité répond aux questions vitales. Que sommes-nous? En quoi sommes-nous autres, différents, uniques? Au nom de quoi refuser de disparaître dans l’uniformité et le métissage ? Quels sont les étalons sur lesquels rebâtir la vie d’une famille, l’éducation d’un enfant, la forme de la société?

Toute une culture savante a stérilisé les fondements de notre identité en confinant la connaissance de nos sources dans le cercle fermé des spécialistes et des érudits qui en ont fait une matière morte et inaccessible. À l’occasion de notre dossier sur les Celtes (NRH n°21), Christian Goudineau a dit avec quel acharnement l’université du XIXe siècle avait écarté les travaux d’Amédée Thierry quand celui-ci révélait aux Français que leurs ancêtres gaulois n’étaient pas des sauvages. Aujourd’hui, les hasards de la production cinématographique apportent parfois de façon imprévue des correctifs puissants à l’ablation de la mémoire dont ont été victimes les Européens. Qui s’en plaindrait?

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