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La Nouvelle Revue d'Histoire n°14

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dirigé par Dominique Venner.

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L’admiration et la pitié

Si les événements ni les idées ne surgissent jamais sans racines. Parmi les causes lointaines de l’embrasement de 1914, on ne peut négliger ce que ce drame doit à la Révolution française. Fille elle-même d’une longue évolution, la Révolution inventa la nation en armes, le service militaire universel, et les guerres nationales. À son exemple, toute l’Europe suivit, malgré la résistance des monarchies qui répugnaient à la démocratisation de la guerre, c’est-à-dire à son extension infinie. Simultanément, la Révolution inventait le nationalisme agressif et la haine de l’étranger, propageant le souffle ravageur de ces passions nouvelles dans toute l’Europe.

En France, à la veille de 1914, quelques esprits clairvoyants, Joseph Caillaux, Jean Jaurès ou le maréchal Lyautey, avaient compris qu’une guerre franco-allemande serait un suicide pour l’Europe. Ils furent impuissants devant la marée des passions. Ajoutons cependant à la décharge des hommes de 1914 qu’ils ignoraient ce que serait cette guerre. À Paris, Londres, Vienne, Berlin ou Petrograd, tous croyaient qu’elle serait courte et profitable à leurs pays respectifs. Personne n’avait imaginé l’épouvante de cette “guerre du matériel”, cadeau mortel fait aux peuples d’Europe par le « progrès », celui des armes, des sciences, des techniques, de la démocratie et de l’économie.

Nous savons depuis longtemps que Caillaux, Jaurès et Lyautey avaient vu juste. Mais nous savons aussi que leur lucidité fut impuissante contre la fatalité, car c’est bien de cela dont il s’est agi. Rétrospectivement, l’idée même de cette fatalité, ajoutée au sentiment de l’inutilité de cette guerre et des souffrances immenses imposées à nos pères, voilà ce qui nous submerge d’un poids accablant.

Plus que tout autre, ce conflit échappe à la rationalité et cela nous est insupportable. Certes, comme le fait notre dossier, il est possible d’analyser les causes et les responsabilités de la guerre. Mais l’identification des causes n’explique pas le caractère fatal de l’événement.

Plus réalistes que nous ne le sommes, les Anciens savaient que la guerre n’appartient pas à la volonté des hommes. Derrière le choc des armes, ils voyaient l’intervention des dieux, c’est-à-dire du destin. Homère n’interprète pas autrement la guerre de Troie qui, en son temps, fut peut-être plus cruelle et dévastatrice encore que notre Grande Guerre. L’Iliade, poème fondateur de l’esprit européen, ne dissimule rien des atrocités ni des souffrances de l’interminable conflit. Mais, par la grâce de la poésie et de la pensée tragique, l’ampleur du drame, transfigure la condition périssable des acteurs, les faisant accéder à l’éternité des héros.

Les combattants de 14-18 n’ont pas eu la chance de voir l’immensité de leur drame traduite dans une Iliade. Et pourtant, la grandeur tragique de ce qu’ils ont vécu les a éternisés. En dépit de son bas utilitarisme, notre époque en reste saisie.

Le soldat est toujours envoyé à la mort pour des objectifs en apparence dérisoires, quelques arpents de neige en pays lointain ou quelques mètres de tranchée bientôt repris. Jamais le soldat n’est juge de l’utilité de son sacrifice. Il obéit par devoir et pour de ne pas flancher devant les camarades. C’est justement parce qu’il est voué au “service inutile” que son destin est associé à la beauté tragique.

Mais si la mort du soldat est « inutile », au moins a-t-elle un sens, ce qui n’est pas accordé à beaucoup de vies.

Gardons-nous donc d’oublier le souvenir des souffrances endurées par les soldats de 1914 et par leurs familles, mais préférons l’admiration qui élève à la pitié qui détruit. Critiquons cette guerre pour ses conséquences funestes, mais honorons chez nos pères un courage que, provisoirement, nous n’avons plus.

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