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La Nouvelle Revue d'Histoire n°29

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dirigé par Dominique Venner

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La République compassionnelle

Le deuil national en l’honneur de l’abbé Pierre juge notre République. Aux temps révolutionnaires, la République, première du nom, eut de grands défauts, mais jamais elle ne manqua de nerfs. Une fois la guerre engagée, la Patrie en danger, retentit l’appel célèbre: «Dès ce moment, jusqu’à celui où les ennemis auront été chassés du territoire de la République, tous les Français sont en réquisition permanente. Les jeunes iront aux armées, les hommes mariés forgeront les armes, les femmes serviront dans les hôpitaux, les enfants mettront le vieux linge en charpie, les vieillards se feront porter sur les places publiques pour exciter le courage des guerriers, prêcher la haine des rois et l’unité de la République!»

Sur des registres variés, cet esprit se maintint à peu près jusque vers 1960 dans les dernières heures de la guerre d’Algérie. Ensuite, les effets du « Siècle de 1914 », la dénaturation et la démoralisation de l’Europe submergeront tout. Hédonisme mou et victimologie larmoyante deviendront les deux mamelles de la télévision et de la «gouvernance». On entrait dans l’ère de la République compassionnelle sur laquelle ironise à belles dents Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public à l’université de Rennes: «Le rôle du politique, écrit-elle, consiste à avoir de la tête et non pas du cœur! Que les épouses de chefs d’État se consacrent aux bonnes œuvres à la façon de Lady Diana, princesse du cœur, est une chose, mais le président de la République, lui, n’a pas à rivaliser avec l’abbé Pierre! Il est élu pour promouvoir et défendre la grandeur de son pays, pas pour jouer les dames patronnesses auprès des accidentés de la route, des malades du cancer ou des handicapés. »

« Avez-vous remarqué, poursuit-elle, que l’occupation favorite de nos ministres, quand ils n’écrivent pas des textes sous la dictée des groupes de pression, est aujourd’hui de se rendre aux enterrements (de policiers, de pompiers, de soldats, etc.)? Récemment, les obsèques d’un gendarme ont même mobilisé les deux ministres de la Défense et de l’Intérieur. Rien n’est trop coûteux pour la compassion larmoyante à tel point que le Premier ministre a même fait demi-tour, alors qu’il était dans l’avion de la Guadeloupe, pour se précipiter sur les lieux d’un accident ferroviaire comme si le ministre des Transports ne suffisait pas.»

Conclusion de l’éminente juriste:«Cette république compassionnelle, où l’émotion l’emporte sur la raison et où l’on se persuade à tort qu’il suffit d’être gentil pour être humain, ne se borne pas cependant à creuser la dette publique et à générer des lois absurdes et inefficaces, elle contribue plus profondément à détruire la démocratie et à discréditer le politique(1)…»

Me revient une réflexion d’Agatha Christie, moraliste trop négligée, et même philosophe à ses heures. Comme souvent, elle parle ici (un roman de 1956) par la voix d’Hercule Poirot, homme d’ordre qui s’en laisse rarement conter: «Je n’ai pas oublié, dit-il, la phrase qu’on lisait, pendant la guerre, dans les couloirs du métro: “Tout dépend de vous.” Je ne sais quel éminent prédicateur en était l’auteur, mais j’y ai toujours vu l’expression d’une doctrine dangereuse. Car ce n’est pas vrai (Agatha souligne vrai). Tout ne dépend pas de Mme Tartempion de Trifouillis-les-Oies. Et si elle vient à le penser, elle n’en retirera rien de bon. Car pendant qu’elle s’interrogera sur le rôle qu’elle peut jouer dans les affaires de la planète, son gamin se renversera la casserole d’eau bouillante sur la tête.»

Comme l’interlocuteur britannique d’Hercule Poirot s’étonnait de propos si peu conformes à la morale de l’irresponsabilité personnelle et de l’attention universelle due aux Autres, il lui demanda de résumer ses idées en une devise. La réponse fusa: « Je n’ai nul besoin de m’en forger. Il en est une, très ancienne et bien de chez vous, qui me convient tout à fait.

– Laquelle?

– «Aie confiance en Dieu et garde ta poudre au sec.»

J’avoue qu’elle me convient aussi. Retrouvons nos dieux, c’est-à-dire les énergies spirituelles qui ont fondé l’ordre européen quand il existait. Et soyons alertes. Tout le reste suivra.

 

1. Entretien accordé à l’hebdomadaire Valeurs actuelles, 19 janvier 2007.

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