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La Nouvelle Revue d'Histoire n°10

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dirigé par Dominique Venner.

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Déclin français ou européen ?

Le mérite de La France qui tombe, ouvrage controversé de Nicolas Baverez, est d’avoir posé la question d’un éventuel déclin, sinon d’une décadence de la France. On aurait pu espérer que naisse un plus large débat. Sans doute les critères étroitement économiques retenus par l’auteur et ses contradicteurs l’ont-ils stérilisé. Pour notre part, nous avons choisi d’élever le niveau de la réflexion en interrogeant des historiens, des philosophes et des sociologues appartenant à des familles d’esprit très diverses. Leurs réponses multiples ne déçoivent pas. Avec eux, un vrai débat s’instaure.

Il était également du rôle de notre Revue d’interroger l’histoire et d’examiner des exemples de déclins et de redressements de la France à travers le temps. On y découvre quantité de faits instructifs. Par exemple, on voit que les périodes de grands effondrements, la guerre de Cent Ans ou les guerres de Religion, ont toutes été précédées de troubles civilisationnels ne se limitant pas à la France, mais communs à toute l’ancienne Europe carolingienne. Utile leçon. Parler aujourd’hui d’un déclin français sans voir le lien avec une crise de civilisation affectant l’ensemble des Européens depuis la catastrophe de 14-18, ce serait avoir la vue un peu basse.

L’examen des grandes épreuves du temps passé montre qu’elles ont été souvent vécues par leurs contemporains comme l’annonce d’une fin du monde. “Quant à moi, écrit en 1535 Guillaume Budé, le plus célèbre de nos humanistes, je suis plutôt enclin à penser que le dernier jour a commencé de tomber, et que le monde est déjà au déclin, qu’il est vraiment vieux et privé de sens, qu’il indique et annonce sa fin prochaine et sa chute.” Point de vue désespéré, à rapprocher de celui qu’exprimera Martin Heidegger en 1967 dans son Introduction à la métaphysique : “La décadence spirituelle de la terre est déjà si avancée que les peuples sont menacés de perdre les dernières forces spirituelles, celles qui leur permettraient du moins de voir et d’estimer comme telle cette décadence.”

À quatre siècles de distance, la confrontation de ces deux textes fait comprendre pourquoi il est salubre de savoir ce qui fut vécu et ressenti dans des époques crépusculaires. Ainsi est-on moins dupe de ce que l’on éprouve soi-même. Cette connaissance devient même une efficace vitamine spirituelle si d’aventure on se trouve confronté au sentiment de l’irrémédiable. La grande leçon est en effet que les écroulements ne sont jamais définitifs. Ils sont suivis de redressements parfaitement inattendus. Mais cela ne se produit pas comme un retour aux formes du passé. Le propre de toute forme est de porter en elle sa promesse d’obsolescence. Qu’elles soient politiques, sociales, ou même religieuses, les formes sont vouées à se faner, tandis que perdure sous divers masques l’essence d’un peuple ou d’une culture. Mais, comme on est d’emblée plus attentif aux apparences, il faut cultiver en soi un autre regard, celui du “traditionisme”, pour distinguer la permanence de l’essentiel.

Cette permanence est évidemment la condition première et substantielle de tout renouveau. Mais elle n’est pas suffisante. Pour que se dégagent de nouvelles représentations, le mûrissement des pires situations joue son rôle, parfois sur plusieurs générations. Une autre condition est le retour de la virtù, mot qui désigne chez Machiavel l’énergie heureuse et intelligente dans l’action. Mais ce n’est pas l’effet d’un miracle, plutôt la récompense des longues épreuves, du désespoir surmonté et du courage.

On s’en douterait, les périodes de décadence sont saturées d’émanations toxiques. Mais par retournements ou réactions, celles-ci ont le pouvoir paradoxal de susciter des réveils salvateurs. Ce n’est pas se bercer d’illusions que de le savoir. Et sous prétexte que l’on patauge dans la boue, cela ne signifie pas pour autant que l’histoire est immobile. De nos jours, par exemple, tout montre au contraire qu’elle bouge et de la façon la moins convenue.

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