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La Nouvelle Revue d'Histoire n°27
dirigé par Dominique Venner
La France, 1956-2006
«Nous sommes en 1956», pronostiquait voici peu Nicolas Baverez. D’autres commentateurs écrivent: «Nous sommes en 1789!» Le sens est analogue: nous allons vers une commotion grave, peut-être une révolution. Les élections de janvier 1956 et l’effervescence dans une Algérie encore française précèdent de deux ans le renversement de la IVe République et la prise du pouvoir par le général De Gaulle.
Nicolas Baverez est certainement l’un des esprits les plus honnêtes parmi les observateurs critiques de la politique française. Sa réflexion d’avocat d’affaires, économiste bien au fait des chiffres et des réalités mondiales, se place dans la tradition de Raymond Aron, en plus passionnée. L’entretien qu’il nous avait accordé pour le dossier Déclins et réveils de notre n° 10, faisant suite à son pamphlet La France qui tombe (2003), révélait la souffrance d’un esprit clairvoyant qui voit les orages s’accumuler, mais, telle Cassandre, est impuissant à enrayer leurs menaces.
Sous le titre Nouveau monde, Vieille France (Tempus, 2006), l’essayiste a réuni les chroniques qu’il a données depuis cinq ans au Point, aux Échos et au Monde. Elles décrivent avec une lucidité consternée l’effrayante décadence de la classe politique française. En tête, Jacques Chirac qui «est aux présidents de la République ce que fut Jacques Derrida à la philosophie: le héraut de la déconstruction. Déconstruction morale et civique, avec le triomphe de la corruption, de la démagogie et des extrémismes. Déconstruction des institutions […]. Déconstruction économique, avec le déclassement de la France dans la compétition internationale…»
Dans son introduction, Nicolas Baverez estime à juste titre que «le XXIesiècle, qui a vu le jour dans les décombres fumants du World Trade Center, a été enfanté en 1979, au croisement de l’intervention soviétique en Afghanistan qui scella sa perte, de la révolution théocratique iranienne et des quatre modernisations lancées par Deng Xiaoping en Chine(1).» Il poursuit: «Sous la lave en fusion de l’histoire en mouvement, la croûte du vieux monde se fissure, explose de toute part […]. Le sol semble se dérober sous les pieds des citoyens des démocraties qui ont basculé sans transition des promesses iréniques d’une fin de l’histoire à la stupeur puis à la peur […].» L’essayiste distingue deux types de réactions: «soit l’hyperactivisme des États-Unis […]; soit l’aboulie et l’impuissance de l’Europe […]». Tout en se montrant réservé à l’égard de l’«hyperactivisme» américain, Baverez estime cependant qu’il serait dangereux pour l’Europe et pour la France de trop marquer leurs distances. Il s’écarte en cela du général De Gaulle pour lequel il manifeste une vive admiration.
Pourquoi l’Europe et les États-Unis devraient-ils faire cause commune? La réponse revient de façon récurrente au fil des chroniques: L’Europe et les États-Unis appartiennent au camp des démocraties et affrontent le terrorisme comme jadis le «totalitarisme». «Le XXe siècle fut dominé par les guerres mondiales qui opposèrent les démocraties aux empires construits autour des idéologies totalitaires.» Mais ce raccourci stéréotypé correspond-il à la réalité historique?
Avant l’entrée en lice des États-Unis en 1917, face aux empires centraux, Allemagne et Autriche-Hongrie, États de droit nullement «totalitaires», la Première Guerre mondiale opposa la coalition de la monarchie britannique, de la République française et de l’empire tsariste (qui n’était pas une démocratie). La conséquence du conflit fut la destruction de l’ancien ordre européen qui ne se confondait certainement pas avec le démocratisme américain(2). À partir de 1941, face à l’Allemagne et à ses alliés, la Seconde Guerre mondiale opposa cette fois l’Angleterre, les États-Unis, mais aussi l’URSS. M. Baverez inclut-il la Russie stalinienne dans les «démocraties»?
À la fin du conflit, il y eut deux vainqueurs:les États-Unis et l’URSS, et un grand vaincu, l’Europe dans sa totalité, ce qu’ont symbolisé les accords de Yalta et les événements de 1956, Suez et Budapest. Depuis, moralement brisée, culpabilisée, l’Europe est entrée dans un déclin profond que traduit le renversement de toutes ses valeurs de civilisation. Telle est la réalité d’une histoire tragique qui n’a pas cessé d’être masquée aux Européens par l’interprétation des vainqueurs. L’état de décomposition de la France en est l’une des conséquences directes. Si l’on veut apporter des remèdes, il ne faut pas se tromper de diagnostic.
1. Événements analysés dans les dossiers de nos nos 2, 4, 7, 9 et 19.
2. Réflexions développées dans mon essai Le Siècle de 1914.